jeudi 11 novembre 2010

Bifrost n°60

Empressons-nous d'ouvrir le dernier numéro de Bifrost, ne serait-ce que pour glisser pudiquement sur le bandeau racoleur à base de calembour qu'on croyait ne plus pouvoir trouver ailleurs que dans les emballages de Carambars ("Sang pour sang vampires !", comment peut-on oser ?).

Le taulier nous explique, dans un éditorial limite agacé, que non Madame, Bifrost a bien le droit de traiter d'un thème aussi éculé que les vampires, et que de toute façon, cela sera fait sous l'angle de la Littérature, la vraie, celle de qualité. Alors regardons-là, la qualité de la littérature vampirique made in Bifrost.

Commençons par Christophe Lambert. Lambert, c'est le brave gars, le type qu'on a envie d'aimer, à qui on peut confier les clefs de l'appart pour qu'il arrose le yucca pendant qu'on est en vacances. Il écrit propre, efficace, un chouïa d'imagination, une pincée de références historiques. Distraire en instruisant, c'est un peu son crédo, au garçon. Et puis, appliqué, limite chouchou de la maîtresse, assis au premier rang. Tiens, le titre de son texte : "Nuit rouge". On voit qu'il a fait des efforts pour montrer qu'il était en plein dans le sujet. Pas le genre à prendre un thème à contre-pied, quoi. Poli, on vous dit. Vous pouvez l'inviter chez vous pour les noces d'or de Papy et Mamie, c'est pas lui qui va pisser dans le saladier de punch.

Bon, sauf que là, il ne s'est pas foulé la rate, quand même. Le pitch de son texte : c'est les Nazis qui sont méchants (“Hooooo ! ” s'exclame le public ébaubi par tant d'originalité) et qui sont sur le front russe, bien emmerdés parce qu'il fait un peu frisquet (“Mais où va-t-il chercher tout ça” se demande Jonathan Littell ; "J'en sais rien, mais c'est foutrement bien pensé” lui répond Ignacio del Valle). La suite pourrait faire un bon départ de roman pulp : un savant fou qui fait des expériences sur des vampires parce que le Führer, il veut durer mille ans, comme son Reich, et rien de mieux que de viviséquer un immortel pour savoir comment ça marche, et vlan, voilà l'armée rouge qui débarque ! Le problème, c'est que ça s'arrête là. Un peu léger, quand même...

On passe ensuite à Léni Cèdre. Allez, là, il faut être franc : ça s'améliore un tantinet. Mais bon, pas de quoi se taper le cul sur la banquise non plus : une fois qu'on nous a expliqué qu'il existait aussi des vampires chez les Mayas, et que, la preuve, ça apparaissait en filigrane dans leur mythologie, c'est terminé. Over. Finito ! Circulez, y'a rien à boire (ouais, moi aussi je peux faire des calembours vampiriques). C'est bien écrit, et malgré quelques ellipses un peu brutales, le genre qui fait se demander au lecteur s'il n'aurait pas tourné deux pages d'un coup, ça se lit bien.

Vient le British de service : Ian McLeod. D'abord, on nous déballe le pédigrée du bonhomme, histoire de bien nous faire comprendre que c'est pas de la gnognote, et qu'on a intérêt à se cramponner à son slip. On nous précise même que ses précédents romans "mirent la critique d'accord de manière assez brutale" mais "ne semblent pas avoir rencontré le public qu'ils méritent". Comprenez : "si vous trouvez ça mauvais, c'est que vous êtes des gros nazes".

Alors on se jette sur le texte, attendant que la Lumière crue de la Révélation nous brûle les yeux. Ouais, c'est tout juste une veilleuse. Et encore, alimentée par des piles un peu fatiguées. C'est vrai que, sur le papier, c'était amusant, son idée : rédiger un manuel de savoir-vivre à l'usage des vampires de l'ère victorienne. Le problème c'est qu'une idée amusante ne fait pas forcément un texte amusant. On s'emmerde carrément, pour tout dire.

J'ai gardé pour la fin la nouvelle d'Eric Holstein. Parce qu'elle me pose un problème. Je ne connais pas ce monsieur. Je ne l'ai jamais rencontré, je n'ai pas lu son roman. Mais j'aimerais bien savoir ce qu'il a contre les arbres. Quel traumatisme de la petite enfance le pousse à se venger ainsi sur de pauvres végétaux ? Parce qu'il faut vraiment souffrir d'une putain de dendrophobie (hé, les geeks, c'est le moment de ressortir votre livre de règles de l'Appel de Cthulhu) pour gâcher autant de pâte à papier pour si peu. Vingt-et-une pages pour nous raconter une descente de flics sur un camp de Roms qui sont en réalité... des Vampires (ha bon, vous aviez deviné ?), c'est vingt pages de trop.

D'accord, c'est écrit gros et espacé. Parce que l'Auteur, par un procédé littéraire foutrement original, nous raconte son histoire uniquement à travers des extraits de rapport de police, de verbatim d'échanges radio... Alors à chaque fois il nous colle un paragraphe insipide du genre “Déposition du lieutenant Dugenoux, de la 34ème compagnie machin devant la commission bidule relative à l'affaire truc” (je vous la fait courte, Holstein a tiré trois fois plus en longueur). C'est comme à l'époque de Dumas, chez Bifrost ? Ils payent au nombre de signes ?

Mais bon, on ne va pas trop critiquer ce texte, parce que c'est quand même celui qui a le plus de fond sur les quatre. Le seul qui soit de la vraie littérature engagée. Militante ! Éric Holstein, c'est un rebelle, un vrai, un dur, un tatoué, un qui en a dans le calbar. Sa nouvelle ? Un brûlot courageux, un acte politique. Voila enfin un auteur qui n'a pas peur de le dire haut et fort : Nicolas Sarkozy n'est pas gentil. Merci de cette révolte salutaire. Merci à Bifrost d'avoir le courage de publier de tels manifestes.

Allez, pour conclure, je pourrais aussi vous parler du reste du dossier, du guide de lecture. Mais là, même si ça ne défonce pas le cul des zèbres, il n'y a pas grand mal à en dire. Alors ça m'amuse moins.

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