vendredi 24 décembre 2010

L'Écorcheur


 Les longs voyages avec leur lot d'attentes interminables dans les aéroports ou les gares routières sont le moment idéal pour s'avaler de gros romans pas trop compliqués. L'Écorcheur de Neal Arsher avait donc toute sa place dans mon sac à dos, d'autant que j'étais presque certain de l'apprécier pour avoir déjà beaucoup aimé sa nouvelle, Spatterjay, parue dans Bifrost numéro 38 il y a quelques années et située dans le même univers.

Évacuons tout de suite le côté "pas compliqué" de l'histoire. L'intrigue, qui paraît touffue au départ, devient très vite simpliste, linéaire, construite à la va-vite, à l'aide de ficelles parfois un peu grosses. S'il y a bien un mot auquel on ne pense pas en lisant l'Écorcheur, c'est l'adjectif "subtil".

Autre reproche que l'on peut faire au roman, c'est le style de Neal Arsher, qui oscille entre le plat (dans ses meilleurs moments) et le bancal en passant par le lourdingue. Le traducteur, Jean-Pierre Pugi, n'est pas non plus exempt de tout reproche, mais comme il a à son actif des travaux de meilleures qualités (le très beau Mother London de Moorcock, par exemple), on pourra accepter de croire que des perles comme "il lui était gré" ne sont dues qu'à un surmenage momentané.

Bon alors, après ces critiques, pourquoi diable conseiller la lecture de l'Écorcheur ? Tout simplement parce que, malgré tous ses défauts, ce roman est foisonnant, jouissif, drôle, rythmé, bourré d'imagination. Le grand talent d'Arsher réside dans sa capacité à construire un monde riche, haut en couleur, un écosystème baroque, énorme, capable de flirter avec l'absurde, de frôler le ridicule tout en restant toujours captivant.

La biologie de Spatterjay est basée sur un principe qui a toutes les caractéristiques des grandes idées de science-fiction : à la fois simple dans son énoncée, bien assise sur une base logique, radicale dans sa façon de changer le monde, et riche en potentialité d'histoires.


Les sangsues sont des carnassiers voraces qui s'attaquent à tout ce qui bouge dans les océans et sur les îles de Spatterjay. Leur appétit est tel qu'il pourrait menacer la survie de ces prédateurs, en épuisant leurs réserves de gibier. Neal Arsher imagine donc une ruse de l'évolution qui conduit les sangsues à inoculer à leur proie un virus d'immortalité. Les créatures contaminées développent de stupéfiantes capacités de régénération ; tant que la tête survit, les chairs peuvent se reconstituer, les membres amputés repoussent. Il y a ainsi une scène de pêche magnifique, où les hommes, après avoir ramenés les poissons sur le bateau, arrachent les chairs de leurs prises qu'ils stockent dans les cales avant de rejeter à la mer l'ensemble tête- colonne vertébrale qui se remet à nager.

Avec cet écosystème quasi-immortel, l'auteur s'en donne à coeur joie dans la description inventive d'une chaîne alimentaire violente, sanguinaire, pour ne pas dire apocalyptique. Et comme le virus est aussi transmissible aux humains, les nombreux combats qui ponctuent le récit atteignent des sommets jouissifs dans le gore. On l'aura compris, L'Écorcheur n'est pas un roman très sérieux mais, à l'instar de l'océan qui recouvre la planète, il est plein de vitalité et d'énergie.

S'il se laisse parfois aller à un côté "too much" dans la violence où les scènes de tortures, l'auteur a une façon de flirter avec le grotesque sans jamais être totalement ridicule qui apporte une touche d'humour bienvenue.


Pour conclure, il faut aussi noter que si L'Écorcheur est avant tout un planet-opera, on sent que le roman est porté par un univers plus vaste, tout aussi imaginatif que cette planète à la chaîne alimentaire démente. Les créatures extra-terrestres bellicistes et esclavagistes de la planète Prador, avec leurs conflits internes et leurs problèmes de succession qui ravalent le complexe d'Œdipe au rang d'indisposition passagère ; l'étrange culte d'Osiris qui prône le recours à la cybernétique pour animer les cadavres de ses fidèles plutôt que de transférer leur esprit dans une machine après leur morts... Neal Arsher a encore beaucoup d'idées à exploiter, ce qui me donne envie de lire Drone.

JFS.

1 commentaires:

Big Luna a dit…

Je plussoie fortement mon ami.
L'écorcheur est un très bon roman bien velu et truffé d'humour (si je me souviens bien il y a un drone de combat bien bourrin qui m'a fait pouffer (oui je pouffe souvent quand personne ne me regarde) à plusieurs reprises).

Le livre loin d'être gore est juste bien burné, hyperprotéiné comme un régime Dukan.

Un excellent moment de détente.

PS : il serait judicieux de préciser que les limaces en question sont de la taille d'une rame de métro. Non, parce que une limace carnivore qui me saute dessus, je veux pas être méchant, mais moi ça me fait rire. Voire même pouffer, tiens.

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