mercredi 13 juillet 2011

William Gibson, Zero History 3/3

<== vers la deuxième partie


Entre pertinence et maniérisme

Gibson continue à travailler son style selon la trajectoire amorcée avec Identification des schémas mais il semble être entré dans un système. Son écriture est de plus en plus marquée par un maniérisme, des afféteries. Il y a indéniablement une patte Gibson, mais on peut regretter qu’elle prenne toute la place, que la forme ait écrasé le fond.

Certaines métaphores sonnent juste («an espresso maker that looked set to win at Le Mans» / une machine à expresso qui semblait réglée pour gagner au Mans) et entre de longues descriptions d’objets cool, d’hôtels internationaux et de breakfast surchargés de signes, il distille des remarques pertinentes sur le monde des marques et du design, la notion de mode et de tendance. Mais souvent, on a l’impression qu’il en fait trop, qu’il se parodie lui-même : des dialogues où s’enchaînent les phrases d’un seul mot, les noms surchargés d’adjectifs emboités les uns dans les autres,
Au final, ça sent trop le travail, la recherche de l'effet pour l'effet et, par conséquent, il agace davantage qu’il ne convainc.
(Source : www.lofitrading.com/) «Turning on the enormous shower required as much effort as ever. A Victorian monster, its original taps were hulking knots of plated brass [...] It reminded her of H. G. Wells’s time machine.»* (Zero History)

Les décors et les accessoires sont en cohérence avec le style de l’écrivain : surchargés, jamais simples, bourrés de références, souvent brillants, mais au final un peu pénibles. Comme si Gibson craignait de subir les foudres divines si par malheur il se laissait aller à décrire quelque chose d'évident ou de normal.
Ainsi Bigend, qui porte en permanence un costume bleu de Klein, ou Heidi et son vêtement qui est «a sort of post-holocaust drum majorette jacket»**... on aurait parfois envie que les personnages soient habillés de façon banale, mangent des choses courantes dans des lieux quelconques. Au lieu de cela, Hollis décrit ainsi l’un de ses rendez-vous : « Came in the morning. Drove me to Brunswick Street. Eggs and bacon in a vegan lesbian café bar.» (Il est venu dans la matinée. M’a emmené Brunswick Street. On a mangé des œufs au bacon dans un café végétalien lesbien). C’est tellement too much qu’il s’agit probablement d’un trait d’humour de la part de Gibson. De l’autodérision ?

(Photo prise à South Whitehall le 6 janvier 2007, © Nicholas_T / Flickr)

Un monde sans substance


On ressort de ce roman comme d’un AppleStore : c’est beau et efficace à la fois, ça exerce une certaine fascination, ça donne l’impression qu’on a un peu mis un pied dans le futur, mais un futur où règne l'ennui et la superficialité.

On se surprend parfois à détecter une petite trace d'un dandysme désespéré à la Brett Easton Ellis dans l’accumulation du paraître et l'avalanche du brand-dropping, mais il manque au Pape du Cyberpunk le petit grain de folie distanciée et l’humour de l’auteur de Glamorama.

La déception qu’était Code Source se confirme malgré, ou peut-être à cause, de la qualité de l’écriture : Zero History montre que Gibson est arrivé au sommet de son style, mais que lui même se regarde un peu trop écrire, qu’il oublie le fond pour ne se soucier que du paraître. Est-ce parce qu’il n’a plus rien à dire ?

Il subsiste cependant un côté fascinant dans la façon dont Gibson rend compte du monde moderne. Alors, bien sûr, son dernier roman paraît un peu creux ; mais si c’était simplement le monde qui était devenu sans substance ?


*Mettre en marche l'énorme douche demandait toujours autant d'efforts. Un monstre victorien dont les robinets d'origine étaient d'énormes nœuds de bronze plaqués. Cela lui rappela la machine à voyager dans le temps de Wells.
 
** Une sorte de veste de majorette post-holocauste.

2 commentaires:

Le pendu a dit…

Chouettes articles. Je n'ai lu que Pattern Recognition mais l'article pourrait s'y appliquer aussi.

JFS a dit…

@Le pendu
Merci :-)
Effectivement, ça pourrait aussi s'appliquer à Pattern Recognition, sauf que pour ce premier roman, on découvrait quelque chose de nouveau. Avec Code source et Zero history, on a un peu l'impression que Gibson radote...

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