Je suis très étonné par le nombre de personnes qui m'adressent des courriers à la recherche de conseils pour monter leur librairie. Finalement peut-être que la petite librairie de quartier n'est pas morte. Ce dont je doute.
Enfin bref (comme dirait Mélanie Fazi), la première question à se poser avant de concevoir un quelconque projet de vie est, à mon avis, de se demander pourquoi on veut le faire. D'où vient donc cette énergie qui nous fait rêver, qui nous porte et nous amène à réaliser des choses que l'on pensait irréalisables ?
L'erreur la plus fréquente est de se dire que l'on veut devenir libraire parce qu'on aime la lecture. Il faut vraiment prendre conscience qu'un libraire ne lit pas forcément plus qu'un lecteur "amateur". Comme tout un chacun, nous n'avons pas le temps de lire au boulot (comme vous, non ?), et le soir nous avons une vie familiale et, pour quelques uns d'entre nous, des loisirs en dehors de la lecture. Hé oui, le libraire n'est pas autiste, il a aussi une vie en dehors de sa librairie. Donc, si vous adorez lire, choisissez plutôt un boulot qui vous permet de sortir à 17h, avec plein de RTT. Je vous assure que vous lirez beaucoup plus qu'un libraire.
Revers de la médaille, le librairie a plus de choix de lectures mais lit rarement ce qu'il aime. Je ne le dirai jamais assez, le libraire est avant tout un entrepreneur. Ce n'est pas un intellectuel, ce n'est pas un philosophe, c'est quelqu'un qui vit uniquement de ses ventes. Il a donc intérêt de vendre beaucoup et comme chacun sait, qualité et quantité ne font que rarement bon ménage. Personnellement je n'ai jamais vendu de Werber, mais d'un autre côté je n'ai jamais été riche.
Tout ça pour dire qu'à force de se forcer à lire de trucs qui ne correspondent pas à ses envies, on arrive facilement à se dégoûter de la lecture. Sacré paradoxe n'est-ce pas ? D'un autre côté on peut tomber sur de belles surprises.
Une autre raison serait de devenir libraire pour partager sa passion. Là, je dis ok, c'est peut-être même la seule raison valable. Ok à condition d'avoir une autre source de revenus car l'idée est noble mais pas forcément lucrative. Je vous le répète encore une fois, on vit une passion mais avant tout on travaille pour vivre, pour manger et faire manger ses enfants.
Sachez toutefois qu'il est tout à fait possible de partager sa passion en devenant bibliothécaire bénévole (quoique j'ai l'impression que c'est de plus en plus difficile), ou critique d'un journal ou d'un webzine.
Etre libraire permet de rencontrer ses auteurs préférés. C'est pas totalement faux. Sachez toutefois qu'avec les salons il est tout à fait possible de rencontrer les auteurs pour peu que ceux-ci ne soient pas des gros cons (mais oui, il y en a !). Etre libraire vous permettra peut-être d'avoir une autre relation que la plupart des autres gens. On va dire que cela facilite le contact. Maintenant il ne faut pas se faire d'illusions : j'arrive à reconnaître les auteurs qui sont réellement contents de me voir et ceux qui se sentent obligés de faire de la public relation. Nous sommes encore une fois dans une relation commerciale.
Maintenant, on n'est pas obligé d'ouvrir sa librairie pour être libraire. Autant laisser aux autres le soin de prendre des risques (et de retirer des bénéfices quand il y en a).
La question qu'il faut alors se poser est : quel sera le périmètre de ma fonction ? Nous sommes d'accord, le côté le plus gratifiant du métier est la relation clients. Il est donc primordial de s'assurer que vous aurez le loisir de l'assurer.
Si votre boulot se résume à mettre en rayon les bouquins sortis des cartons et à renseigner les clients sur l'endroit où se trouve l'ouvrage recherché, honnêtement nous sommes loin de l'idéal recherché et la frustration, suivie tôt ou tard de l'agressivité, ne tardera pas à se pointer.
Aimer la lecture et les auteurs ne suffit pas pour devenir libraire. Je suis persuadé que mon ami JFS lit plus que moi et connait mieux le milieu interlope que moi alors qu'il est fonctionnaire (comme je vous le disais, il faut disposer de beaucoup de temps libre). Des fois je l'envie, car il lit uniquement pour le plaisir sans penser à marges et retours.
Réfléchissez à vos motivations profondes avant de vous engager, car après il est très difficile de faire marche arrière. Mais nous en reparlerons plus tard.