Je sors de la projection du dernier film de Lars von Trier, Melancholia. Sans doute l'un des plus beaux films de science-fiction que j'ai vus récemment. En apparence, le thème est un classique qui ne dépareillerait pas au milieu des productions Bruckenheimer : une planète vagabonde géante s'apprête à frôler la Terre et, même si les scientifiques se veulent rassurants, la survie de notre planète est loin d'être garantie. Mais le film, à l'opposé du blockbuster hollywoodien, est le superbe portrait de deux femmes et peut, au final, se résumer en une seule question : "si la fin du monde devait arriver dans quinze minutes, avec qui construiriez-vous une cabane ?". Avant d'aller voir Melancholia, je n'aurais pas imaginé que cette question puisse être si bouleversante.
Le génie de Lars von Trier s'exprime ici dans sa capacité à aller à l'essentiel, à dépouiller progressivement son film de tout ce qui en est superflu. Ainsi de l'apocalypse attendue : elle est montrée en une longue et magnifique séquence en ouverture du film, ce qui permet, à la fin, de l'évoquer en quelques secondes choc, laissant ainsi toute la place aux personnages. La partie "science" de ce film de SF est, elle aussi, réduite au strict nécessaire : toute la mécanique céleste qui va amener la fin inéluctable est portée par deux schémas vus sur ordinateur et un bout de fil de fer.
Et cependant, le film est long (plus de deux heures), parce qu'avant d'entrer dans le vif du sujet (comment les deux sœurs, l'une, Justine, dépressive, atteinte de cette mélancolie qui donne son titre au film, l'autre, Claire, pragmatique, ancrée dans le réel de sa vie de famille, vont vivre cette fin du monde), Lars von Trier passe par un premier "acte" consacré au mariage de Justine, une machine bien réglée que la maladie de la principale intéressée va faire sombrer petit à petit. De nombreux critiques ont évoqué, à ce sujet, l'ombre de Festen de Vinterberg, camarade de Dogme de Trier, mais on peut aussi y voir une réminiscence des Idiots, où déjà le réalisateur utilisait la maladie mentale pour démolir les conventions sociales.
Cette première partie prend cependant tout son sens quand approche le dénouement : elle a permis de décrire en détails la personnalité des deux sœurs, laissant alors le réalisateur se concentrer sur l'essentiel, leurs réactions face à l'approche de Melancholia.
Terminons sur ce sujet pour souligner combien, avec la présence de cette planète, Lars von Trier démontre que le sense of wonder n'est pas l'apanage des films hollywoodiens : les images sont de toute beauté (ha le magnifique lever de Melancholia en début de nuit...), sans que les effets ne paraissent jamais trop appuyés et la fascination des deux hommes (le mari et le fils de Claire) pour l'astre étranger fait de Melancholia un véritable film de science-fiction.